Malte une destination à la météo fiscale ensoleillée
Depuis plusieurs mois, les exils fiscaux des influenceurs français se multiplient et c’est initialement vers Dubaï que ces derniers semblaient avoir jeté leurs dévolus. Si le cadre de vie luxueux, la sécurité maximale mais surtout l’absence d’impôts furent de convaincants arguments, le décalage horaire de 3 heures avec Paris et les 7h de vol séparant ces deux villes ont laissé le champ libre à l’émergence d’un nouveau pays dans la liste des destinations fétiches des influenceurs en quête de cieux fiscaux favorables.
Malte réunit ainsi toutes les qualités nécessaires à l’exercice d’une activité professionnelle en ligne : pas de décalage horaire avec la France, seulement 2h30 de vol depuis Paris, un immobilier abordable, une météo agréable et des avantages fiscaux conséquents.
Mais alors malgré son apparent taux d’imposition des bénéfices des sociétés de 35%, quels sont les dispositifs fiscaux que proposent ce pays pourtant membre de l’Union Européenne, et absent de toute liste des paradis fiscaux et sont-ils réellement si intéressants ?
Absence d’impôt sur la fortune, absence d’impôt sur les successions et les donations, absence de taxe foncière ou de taxe d’habitation, absence d’imposition sur la vente d’un bien immobilier servant de résidence principale après 3 ans de possession, charges sociales pour les salariés 2 à 3 fois plus faibles qu’en France… Toutes ces absences d’impôts sont autant de bonnes raisons pour inciter les étrangers fortunés à s’installer sur l’île de Malte.
Mais Malte offre également un régime fiscal très avantageux, basé sur un système d’imputation intégral ainsi qu’un système de remboursement d’impôt, visant à éviter une double imposition sur le même revenu (pour la société et ensuite pour l’actionnaire). Ces deux systèmes combinés permettent donc une planification fiscale très efficace.
Ainsi, la société devra dans un premier temps s’acquitter d’un impôt au taux de 35 % mais la distribution de dividendes ne donnera lieu à aucune autre imposition supplémentaire pour les actionnaires. Mieux encore, afin d’éviter toute double imposition lors de la distribution d’un dividende, les actionnaires ont le droit au remboursement des 6/7ème de l’impôt total payé par la société, ce qui résulte en un taux d’imposition effectif de 5%. Aucune retenue à la source n’est par ailleurs opérée sur les dividendes, intérêts et royalties versés à l’étranger.
A Malte l’idée maîtresse est que l’on ne taxe pas de l’argent deux fois.
Prenons pour exemple un influenceur qui souhaiterait s’installer sur Malte pour bénéficier de ces dispositions. Une fois sa société maltaise créée, elle réalise un revenu imposable de 100 000€ et doit donc s’acquitter d’un impôt de 35% soit 35 000€. Cela lui laisse donc un bénéfice net qu’elle peut distribuer sous forme de dividende de 65 000€. Considérant que ces dividendes seront imposés dans le pays dans lequel l’influenceur les fait remonter, l’administration fiscale maltaise, par le biais du mécanisme de remboursement des 6/7, remboursera 30 000€ sur les 35 000€ d’impôts versés.
Afin d’optimiser plus encore cette distribution de dividendes, et éviter toute imposition sur celle-ci, l’influenceur crée une seconde société, une holding, dans un Etat dénué d’imposition sur les dividendes (Émirats arabes unis, Gibraltar, Chypre…) afin qu’elle perçoive ces derniers gratuitement. Le taux d’impôt net effectif s’élève donc à 5 000€ soit 5%.
Ce type de montage est-il légal et à qui s’adresse-t-il ?
Ce remboursement des 6/7 a pour but d’éviter une double taxation de la même somme d’argent, ainsi, Malte considère que lorsque les dividendes remontent dans un pays étranger, ils seront taxés. De fait, afin que l’argent ne soit pas taxé deux fois, Malte rembourse 6/7 de l’impôt et ce, même si in fine, les dividendes ne sont pas taxés dans leur pays d’arrivée.
La législation maltaise autorise la création d’une holding dans un pays étranger et ne taxe pas les dividendes sortants : Malte souhaite encourager, par ce levier fiscal, les travailleurs du numérique à venir s’installer sur son Etat. Il est également à noter que certains domaines d’activité sont soutenus par l’État comme la Blockchain, le E-commerce ou encore le E-gaming.
Ces dispositions fiscales s’adressent donc aux traders, aux joueurs de poker professionnels, aux influenceurs et à toutes les personnes qui ont une activité en ligne et qui sont résidents fiscaux maltais. Leur argent se situant sur une plateforme, Malte ne taxera que l’argent qui sera réellement rapatrié dans son Etat pour vivre, permettant de laisser à l’abri de l’impôt la grande majorité des revenus de ces professionnels.
Cet exil fiscal n’est donc pas illégal en soit, si le centre décisionnel est réellement basé à Malte. Il ne s’agit a priori pas de fraude et Malte ne figure sur aucune liste des paradis fiscaux établie par l’Europe.
Néanmoins il convient de se questionner sur l’aspect moral de telles pratiques : les revenus que tirent ces influenceurs tels que David Lafarge, Skyyart, TeufeurS ou encore Locklear, spécialisés dans la production de contenu vidéo en direct ou non, sur des plateformes telles que Twitch et Youtube, sont réalisés avec un public français. Ces producteurs de contenus viennent régulièrement rencontrer leur public en France et participer à des collaborations avec d’autres vidéastes restés eux aussi en France. Leur déménagement à Malte, archipel du centre de la Méditerranée, grand comme 1,5 fois Marseille et peuplé par 500 000 personnes semble donc largement inspiré par des raisons essentiellement fiscales.
Ce système est-il profitable à Malte ?
Malte est un petit archipel dépourvu de réelle agriculture et d’industrie, l’entrée dans le marché unique et l’instauration de la libre circulation des capitaux a entrainé une concurrence accrue entre les économies des Etats membres de l’Union Européenne. Concourant face à des Etats des centaines de fois plus grand que lui, le dumping fiscal est pour Malte un moyen essentiel pour attirer des entreprises et investisseurs étrangers et ainsi lui rapporter des recettes fiscales.
Le tourisme ne pouvant suffire à lui seul à faire tourner l’économie d’un pays, être attractif fiscalement est une question de survie.
Instaurer un taux minimum d’impôt, dans les circonstances actuelles de libre circulation du capital, risque donc de mettre à mal un certain nombre d’économies puisque cessant de rendre ces Etats attirants. Rien ne garantit que ces pays collecteront réellement l’impôt officiel si leur survie en dépend : il est probable de voir ainsi de nouveau une forte émergence de rescrits fiscaux afin d’attirer des investisseurs sans avoir à le dire aux partenaires européens, ce qui entraînera sans doute de nouveaux « leaks » comme ce fut le cas pour les « luxleaks ».
S’il était tolérable pour l’Union Européenne de laisser faire ce genre de pratique pour des pays de la taille de Malte qui n’ont besoin que de peu de recettes fiscales pour fonctionner, à l’heure où des Etats comme les Pays-Bas ou le Portugal commencent à proposer des dispositions fiscales avantageuses, il y a fort à parier que cette même Union Européenne réagisse et cherche à fermer les robinets de la fuite des recettes fiscales européennes.
Mais comment contrôler que des Etats souverains prélèvent réellement l’impôt ? Est-ce réellement possible que des pays comme Malte adoptent nos standards en matière de droits sociaux ou notre fiscalité tout en maintenant une économie pérenne ? L’Europe doit-elle, au nom de l’unité européenne, subventionner ces territoires ultra-périphériques peu avantagés géographiquement ?
Dans un monde qui se globalise, de la réponse à ces questions essentielles dépendra la survie de la souveraineté de nations.
Thomas Gallice
Elève Avocat – Cabinet SAND AVOCATS.
Article publié le 06 janvier 2022 au sein de la revue Lexbase Hebdo – édition fiscale n°889