Les révélations de consortium de journalistes, moteur de l’évolution fiscale
Le 3 octobre dernier, le Consortium international des journalistes d’investigation (ICJIJ) publiait une enquête réalisée en partenariat avec 150 médias internationaux reposant sur une fuite de 11,9 millions de documents révélant la dissimulation de 9 400 milliards d’euros au sein des 29 000 sociétés offshores. Pas moins de 35 chefs d’Etat, 130 milliardaires, 300 responsables publics, un ancien président du Fonds Monétaire International et plus de 600 français seraient impliqués.
Cette fuite massive de données, nommée « Pandora Papers » vient s’ajouter à une longue liste de révélations et de « leaks » intervenus au cours des dix dernières années parmi lesquelles « LuxLeaks » en 2014, « Panama Papers » en 2016 ou encore « OpenLux » en 2021.
Mais alors que les révélations issues du travail de consortium de journalistes se font de plus en plus régulières, il convient de s’interroger sur leurs conséquences quant à l’évolution de la matière fiscale.
Après la parution des « Offshore Leaks » de 2013, la lutte contre les paradis fiscaux est érigée en priorité et l’OCDE produit le plan BEPS de lutte contre l’érosion de l'assiette fiscale et le transfert des bénéfices. Mais ce projet BEPS étant un instrument non contraignant, les recommandations qu’il émet nécessitent d’être mises en œuvre par l’ensemble des pays en fonction de leur système juridique et constitutionnel ce qui dépend de la bonne volonté de chacun des Etats.
La Directive européenne 2014/107/UE relative à l’échange automatique d’informations sur les comptes financiers est adoptée suite à ces révélations et une loi française du 26 juillet 2013 « de séparation et de régulation des activités bancaires » oblige les banques à publier des données concernant leurs activités dans les paradis fiscaux.
Un an plus tard, les « LuxLeaks » de 2014 entrainent la fin des rescrits fiscaux luxembourgeois aussi appelés « rulings » et amènent le Grand-Duché à accepter, en octobre 2015, de se soumettre à l’échange automatique d’informations concernant ces rescrits : la directive 2015/2376/UE relative à l’échange automatique de rescrits fiscaux est prise à cet effet.
Transposition en droit interne de la directive européenne 2016/881/UE modifiant la directive 2011/16/UE (DAC 4), c’est après les « SwissLeaks » de 2015 que l'article 223 quinquies est introduit dans le code général des impôts afin d’imposer une déclaration pays par pays des résultats des multinationales.
De nombreuses conséquences judiciaires suivront parmi lesquelles la signature de la première Convention Judiciaire d’Intérêt Public (CJIP) depuis sa création par la loi anticorruption du 9 décembre 2016, dite Sapin 2.
Un vrai tournant répressif s’opère et l’usage de la Comparution sur Reconnaissance Préalable de Culpabilité » (CRPC) se généralise afin d’éviter les procès. Le PNF engage de multiples poursuites pour fraude fiscale, ce qui emmène à la condamnation à de la prison avec sursis et de fortes amendes pour certains contribuables. C’est aussi la première fois qu’un avocat fiscaliste est condamné pour complicité d’organisation frauduleuse d’insolvabilité.
Le 3 avril 2016, la plus grosse fuite de documents jamais traitée est révélée par l’ICJI. Les « Panama Papers » feront couler beaucoup d’encre.
Face à un tel scandale, en plus des suites pénales pour les contribuables impliqués, le Panama signe une convention internationale contre la fraude fiscale, et est réintégré par la France dans sa « liste noire » des Etats non coopératifs. La Directive européenne 2016/2258/UE relative à la lutte contre le blanchiment est prise et la France insère l’article L 88 au sein du Livre des Procédures Fiscales : l’échange automatique de données bancaires sur les comptes ouverts par des particuliers, mais aussi sur le stock de comptes offshores est déployé en 2017.
Ces directives successives démontrent la volonté assumée de combattre l’érosion des bases d’imposition et de rendre contraignantes les décisions de l’OCDE en les transposant dans le droit de l’Union Européenne. C’est grâce à ces textes que les bases de données sur les bénéficiaires effectifs ont pu voir le jour, permettant de lutter plus efficacement contre le blanchiment d'argent et d’attirer l'attention de la communauté internationale sur les impacts sociaux de l'anonymat des entreprises.
Les affaires qui suivent et notamment les « Malta Files » et les « Paradise Papers » en 2017 mais également « Open Lux » en 2021, entrainent une prise de conscience européenne qui conduit à la création d’une liste noire des paradis fiscaux par l’Union Européenne mais également à la prise de deux directives européennes.
La première directive est la 2018/822/UE nommée « DAC6 », relative au dispositif de planification fiscale agressive. Elle vise à imposer la déclaration aux autorités fiscales des opérations internationales potentiellement agressives d’un point de vue fiscal par rapport à des marqueurs présents dans la directive.
La seconde est la 2018/843/UE révisant la 4e directive anti-blanchiment (dite « 5e directive anti-blanchiment »). Elle vise à toujours plus de transparence et de coopération, en rendant public l’accès au registre des bénéficiaires effectifs des sociétés et en mettant en place une interconnexion des registres des Etats membres.
Ces trois affaires entrainent peu de conséquences pénales puisque reposant majoritairement sur des dispositifs légaux, mais moralement questionnables. Elles illustrent la difficulté pour le fisc à rapporter la preuve d’un abus de droit et de combattre l’optimisation fiscale.
Alors à l’annonce de la parution de ces « Pandora Papers » qui vont entrainer plusieurs années d’enquêtes et de vérifications, on peut d’ores et déjà tirer plusieurs enseignements de cette décennie d’enquêtes et de scandales.
Il est ainsi à noter la montée en puissance du Parquet National Financier (PNF) et le fort accroissement de l’utilisation de modes alternatifs de réponse pénale. La publication de rapports annuels chiffrés du bilan du PNF confirme cette tendance à l’évaluation par le résultat et laisse à penser que les deux outils que sont la CJIP et la CRPC n’en sont qu’à leurs débuts, ces derniers permettant à la justice de gagner en réactivité, d’assurer une meilleure gestion du temps et d’accroître les rendements.
L’effet dissuasif des peines prononcées et la pénalisation graduelle du droit fiscal combinés aux avancées législatives ainsi qu’au risque réputationnel de voir son nom cité au sein d’articles de presse amène les entreprises et les particuliers à réfléchir à deux fois avant de mettre en place un système d’optimisation fiscale agressive.
S’il est presque certain que d’autres révélations auront lieu à mesure que les paradis fiscaux ouvriront l’accès à leur registre des bénéficiaires effectifs, il est probable que la tendance à la sévérité et à la tolérance zéro en matière fiscale soit poursuivie.
Thomas Gallice
Elève Avocat – Cabinet SAND AVOCATS.
Article publié le 01 décembre 2021 au sein de la revue Lamyline « Les Nouvelles Fiscales » Nº 1299