La solidarité fiscale n’est pas une punition pénale
Par un arrêt du 23 février 2022, la Cour de cassation poursuit un mouvement jurisprudentiel visant à dénier tout caractère de punition pénale à la solidarité fiscale, « garantie pour le recouvrement de la créance du trésor public » (Cass. crim., 23 fév. 2022, no 21-81.161).
Par conséquent, la Cour affirme ainsi l’impossibilité pour le dirigeant condamné solidairement avec sa société au paiement des impôts fraudés ainsi qu'à celui des pénalités fiscales afférentes, à se prévaloir de l'article 513, alinéa 4, du code de procédure pénale, pour obtenir la cassation de l’arrêt de cour d’appel statuant sur cette seule solidarité fiscale.
Condamné par un tribunal correctionnel à trois mois d’emprisonnement avec sursis et trois ans d’interdiction de gérer pour des faits de fraude fiscale et omission d’écritures en comptabilité, un dirigeant se voit également déclaré solidairement tenu avec la société qu’il dirigeait, au paiement de l’impôt fraudé dont elle est le redevable légal, ainsi qu’à celui des pénalités fiscales y afférentes.
Ne faisant appel que des seules dispositions relatives à la solidarité prononcée, ce dirigeant voit la décision de première instance le déclarant solidairement tenu des sommes précitées, confirmée en appel, et décide de se pourvoir en cassation, considérant la violation des dispositions de l’article 513, alinéa 4, du Code de Procédure Pénale (CPP) par la Cour d’Appel ayant confirmé sa condamnation.
Il défend ainsi dans un premier moyen qui sera le seul reproduit, le fait qu’il n’ait pu devant la Cour d’Appel s’exprimer en dernier, en dépit des dispositions de l’article précité prévoyant que « le prévenu ou son avocat auront toujours la parole les derniers ». Il explique que « cette règle, qui domine tout débat pénal, concerne toutes les procédures intéressant la défense et se terminant par un jugement ou un arrêt ; qu'il en est ainsi en cas de prononcé de la solidarité fiscale, mesure à caractère pénal prévue par l'article 1745 du code général des impôts ».
La Cour de Cassation rejette ce pourvoi en qualifiant la solidarité fiscale de « garantie pour le recouvrement de la créance du Trésor public » et lui dénie tout caractère de punition de nature pénale. Elle tire ainsi pour conséquence de sa qualification, l’inapplicabilité des dispositions de l’article 513, alinéa 4, l’action publique n’étant plus en cause.
La reprise par le demandeur d’un attendu de la chambre criminelle
Dans un arrêt du 20 septembre 2000 (Cass. Crim. no 99-81.392, Bull. crim., no 272), la chambre criminelle de la Cour de cassation a posé l’attendu suivant « Attendu qu'aux termes de ce texte [l'article 513 du code de procédure pénale], le prévenu ou son avocat auront toujours la parole les derniers ; que cette règle, qui domine tout débat pénal, concerne toutes les procédures intéressant la défense et se terminant par un jugement ou un arrêt ; qu'il en est ainsi en cas de prononcé de la solidarité fiscale et de la contrainte par corps, mesures à caractère pénal prévues par les articles L. 272 du livre des procédures fiscales et 1745 du code général des impôts »
Cet attendu rendu par la Haute Cour est repris in extenso dans l’arrêt du 23 février 2022 par le demandeur au pourvoi au sein de son premier moyen. Cependant, cet attendu n’est pas transposable dans notre espèce pour deux raisons.
La première est qu’il était question, dans cet arrêt du 20 septembre 2000 précité, de la solidarité fiscale combiné avec une contrainte par corps, procédure d’exécution forcée devenue contrainte judiciaire depuis 2004, ce qui est donc différent car beaucoup plus contraignant et potentiellement attentatoire aux droits du prévenu.
La seconde parce que depuis cet arrêt (celui de 2000 précité), la jurisprudence semble tendre vers d’autres qualificatifs pour la solidarité fiscale que celui de « mesure à caractère pénal ».
Une solidarité fiscale à la qualification discutée
La solidarité est une notion de droit civil qui trouve à s'appliquer dans de nombreux domaines du droit et qui est destinée à favoriser le recouvrement des créances. Il en existe plusieurs régimes et sa qualification est discutée par la jurisprudence depuis plusieurs décennies. De nombreuses conséquences découlent de cette qualification.
Cette solidarité est soit légale, soit conventionnelle, mais ne se présume pas (article 1310 du Code civil). En matière fiscale, elle est expressément prévue par certains articles du Code général des impôts (CGI) ou du Livre des procédures fiscales (LPF) (Articles L. 267 du LPF ; 1961 ; 1745 ; 1759 CGI).
Dans cet arrêt du 23 février 2022 (Cass. crim., 23 fév. 2022, no 21-81.161), il est question du régime de la solidarité prononcé par le juge pénal de l’article 1745 du CGI : « Tous ceux qui ont fait l'objet d'une condamnation définitive, prononcée en application des articles 1741, 1742 ou 1743 peuvent être solidairement tenus, avec le redevable légal de l'impôt fraudé, au paiement de cet impôt ainsi qu'à celui des pénalités fiscales y afférentes. »
Cette mesure est redoutable et aggrave considérablement la situation financière du coupable au bénéfice du Trésor public et elle est une mesure qui a la faveur du juge pénal.
Dans ce contexte, se pose la question de la nature civile (indemnitaire) ou pénale (répressive) de la solidarité et, conséquemment, de son éventuelle soumission aux principes constitutionnels et supranationaux régissant les sanctions punitives.
La solidarité fiscale était qualifiée dans certains arrêts de la Cour de cassation de « sanction » (Cass. crim., 19 janv. 1987, no 86-90.195 ; Cass. crim., 2 mai 1988, no 87-84.059 ; Cass. crim., 10 juin 1987, no 86-94.488, Bull. crim., no 239 ; Cass. crim., 23 mars 1987, no 86-90.441) voir même de « sanction de nature pénale » (Cass. crim., 12 nov. 1984, no 83-92.805, Bull. crim., no 342) ou encore de « mesure pénale » (Crim., 4 nov. 2010, n° 10-81.825).
Suivant plusieurs arrêts de 1996, cette solidarité était qualifiée de « mesure à caractère pénal » (Cass. crim., 29 févr. 1996, no 93-84.785 ; Cass. crim., 29 févr. 1996, no 92-84.481 ; Cass. crim., 29 févr. 1996, no 93-84.692 et no 93-84.616, Bull. crim., no 100 ; Cass. crim., 19 mai 2010, no 09-83.970, Bull. crim., no 89 ; Cass. crim., 22 mars 2006, no 05-82.783 ; Cass. com., 31 janv. 2006, no 03-18.573 ; Cass. crim., 3 juin 2004, no 04-82.036, Bull. crim., no 150).
Il était ainsi considéré que les juges ne pouvaient prononcer la solidarité au titre de l’action civile (Cass. crim., 5 mai 2004, no 03-85.722).
Cependant et comme ce fut relevé par le Professeur Stéphane Detraz (Caractère punitif de la solidarité fiscale - Stéphane Detraz – RSC 2011. 628), cette qualification n’était pas satisfaisante puisque créant une catégorie juridique floue, inconnue des textes et se plaçant à côté de celle des sanctions pénales ou empiétant sur elle. Elle produisait parfois des effets inconstants et paradoxaux puisque la solidarité pouvait être prononcée sur le seul appel de l’administration mais pouvait également être prononcée sans motifs ni motivation et son étendue ne pouvait être limitée.
Un revirement de jurisprudence eu lieu en 2013 par la chambre criminelle (Cass. crim., 16 janv. 2013, no 12-82.546, Bull. crim). Il fut ensuite déclaré possible de prononcer la solidarité du condamné avec le redevable légal des impôts fraudés, hors la présence du ministère public, l'instance ne portant plus que sur les intérêts civils (Cass. crim., 14 mai 2014, no 13-81.796).
Ce revirement fut confirmé et renforcé par un arrêt un arrêt du 23 mars 2016 (Cass. Crim. 23 mars 2016, no 14-88.507), dans lequel la chambre criminelle de la Cour de cassation précisa que « la mesure de solidarité fiscale, qui constitue une garantie pour le recouvrement de la créance du Trésor public, n'est pas une peine au sens de l'article 132-1 du code pénal ».
Sans étonnement, cette position est partagée par le juge administratif de l’impôt (CE, 12 8 déc. 2017, n° 414303, QPC).
Cette évolution jurisprudentielle entraîne l’inapplicabilité de l’arrêt du 20 septembre 2000 dont s’est prévalu le demandeur au pourvoi.
Il fut également énoncé dans plusieurs autres arrêts de la chambre criminelle de la Cour de cassation que cette solidarité constitue uniquement une garantie pour le recouvrement de la créance du Trésor public, en se fondant tant sur de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 que sur les règles de droit de l’Union Européenne :
- Cass. crim., 6 déc. 2017, no 16-81.857 : « le prononcé de la solidarité, qui, ne revêtant pas le caractère d'une punition, ne contrevient pas aux dispositions conventionnelles invoquées, est une possibilité que les juges tiennent de la loi » ;
- Cass. crim., 7 déc. 2016, no 15-86.445 : « la solidarité qui a pour objet de garantir pour le Trésor le recouvrement de sa créance, dont seul le redevable de l'impôt assure en définitive la charge, n'est pas une peine au sens des dispositions conventionnelles précitées ».
- Cass. crim., 11 juill. 2017, no 15-86.825: « la mesure de solidarité fiscale, que les juges peuvent légalement prononcer à l'égard de la personne condamnée pour fraude fiscale, ne revêt pas le caractère d'une punition ».
Cette position a été inspirée par celle, comparable, qu’a adoptée le Conseil constitutionnel à l’endroit de la solidarité prévue à l’article 1754, V, 3, du Code général des impôts (en matière de distribution de revenus à caractère anonyme (Cons. const., 21 janv. 2011, n° 2010-90 QPC)).
Enfin, la chambre commerciale de la Cour de cassation, rendit un arrêt publié au Bulletin (Cass. Crim. 5 sept. 2018, no 17-13.626) qui énonça que : « la solidarité prononcée contre le dirigeant social en application de l'article 1745 du code général des impôts […] constitue une garantie de recouvrement de la créance fiscale et ne tend pas à la réparation d'un préjudice ».
Cette qualification de la solidarité fiscale conditionne l’action au titre de laquelle elle peut être prononcée ainsi que les règles procédurales y afférentes. Ainsi, qualifier la solidarité fiscale de garantie pour le recouvrement de la créance du trésor public comme le fait cet arrêt du 23 février 2022 (Cass. crim., 23 fév. 2022, no 21-81.161) revient à empêcher l’application de l’article 513 du code de procédure pénale dans le cas de l’appel des seules dispositions relatives à la solidarité prononcée.
L’article 513 du code de procédure pénale dépend de l’action publique
L'action publique est l'action en justice portée devant une juridiction répressive pour l'application des peines à l'auteur d'une infraction. Cette action trouve son fondement dans l’article 1er du code de procédure pénale.
La Cour de Cassation dans les motivations de cet arrêt du 23 février 2022 explique que l’article 513, alinéa 4 « Le prévenu ou son avocat auront toujours la parole les derniers. », n’est pas applicable car l’action publique n’est plus en cause.
Par cette phrase, elle réaffirme ainsi comme à chaque arrêt portant sur cet alinéa de l’article 513, que ses dispositions ne peuvent recevoir application que lorsque l’action publique ne se trouve pas éteinte (Pour exemple Cass. Crim., 13 déc. 1983, no 82-92.346, publié au bulletin).
Or en l’espèce, cette action publique a trouvé son extinction lorsque le jugement de première instance condamnant le chef d’entreprise à trois mois d’emprisonnement avec sursis et trois ans d’interdiction de gérer pour des faits de fraude fiscale et omission d’écritures en comptabilité a acquis force de chose jugée, c’est-à-dire lors de l’appel sur la seule solidarité, la solidarité fiscale n’étant pas une punition ou une peine.
Si l’appel avait été formé sur l’ensemble des dispositions de la décision de première instance, alors l’action publique n’aurait pas été éteinte et l’article 513 alinéa 4 aurait été applicable.
Au regard de l’ensemble des éléments développés ci-dessus, la chambre criminelle, par cet arrêt publié, énonce logiquement que l’ordre de parole, prévu à l’article 513 du code de procédure pénale, n’a pas à être respecté lorsque la cour d’appel est saisie de la seule question de la solidarité fiscale.
Cet arrêt publié au bulletin vient donc, malgré des décisions rattachant par le passé le prononcé de la solidarité à l’action publique et au ministère public, entériner une longue saga jurisprudentielle en rejetant à propos de la solidarité fiscale, la qualification de mesure ayant le caractère d’une punition de nature pénale pour en confirmer la qualité de simple garantie pour le recouvrement de la créance du trésor public.
Cette solution qui avait déjà été énoncée par la Cour de cassation, au regard de la Constitution ainsi que des conventions internationales peut néanmoins être critiquée sur le fond car l’absence de tout caractère punitif de la solidarité est discutable, cette dernière aggravant considérablement la situation financière du coupable au bénéfice du Trésor public.
Thomas Gallice
Elève Avocat – Cabinet SAND AVOCATS.
Article publié le 21 avril 2022 au sein de la revue Lexbase Hebdo – édition fiscale n°903