Chronique pénale fiscale

Notre cabinet de niche, spécialisé dans la défense fiscale et pénale, a plaidé récemment devant deux tribunaux correctionnels, l’un en province, l’autre à Paris, spécialisé.
Je veux tout d’abord rendre hommage aux magistrats et aux procureurs dans ces affaires, qui ont pris soin de tenter de comprendre une matière absconse, très technique, et qui ne peut être abordée comme une affaire de stupéfiants, de vol ou de violence.
Ils ont compris que la répression de la fraude fiscale représentait plusieurs particularités. La dualité des procédures, fiscales et pénales, la proportionnalité impérative d’une décision, puisque l’administration fiscale en applique déjà (pénalités), la présence de la partie civile toujours identique, et supposée seule sachante de la matière.
Dans ces deux cas, les magistrats devant qui nous avons eu l’honneur de défendre nos clients ont animé les débats, nous ont laissé exposer, expliquer, et nous avons eu plaisir à échanger, techniquement, et respectueusement, avec l’ensemble des parties en présence.
Cette matière, hybride, est particulière, nous l’avons dit, mais elle est également violente. Violente car tout le fond de ces affaires, c’est l’insuffisance, l’absence, le détournement, le refus de s’acquitter de tel ou tel impôt. C’est la négation de la solidarité nationale, ciment indispensable d’une nation, pour que son Etat fonctionne. Frauder l’impôt, c’est attenter aux devoirs d’un Etat.
C’est le préalable de toutes ces affaires. Le prévenu n’a pas causé un dommage à un individu, à une entreprise, il a causé préjudice, volontairement et frauduleusement, à l’ensemble des citoyens d’un pays. Ce n’est pas une personne qui lui fait face, c’est 67 millions de victimes !
Imaginez donc que lorsque le prévenu entre dans le prétoire, il ne bénéficie pas « moralement » d’une quelconque présomption d’innocence.
D’autant que pour le renvoyer devant un tribunal, une administration impliquée, supposément compétente et objective, a déterminé son infraction et a fourni au Ministère Public, les éléments indispensables à toute sanction pénale, la matérialité du délit et l’intentionnalité du prévenu.
La messe est-elle dite pour autant ? Le tribunal ne regarde-t-il pas les éléments de personnalité du prévenu, comme dans toute affaire pénale ? Ne cherche-t-il pas à connaître le passé du prévenu, l’éventualité d’une primo-déliquance ou, a contrario, d’une récidive ?
On s’y attend, et nous constatons, dans notre pratique et dans cette matière, qu’il n’est nul besoin d’une récidive pour être lourdement condamné.
Quant au prévenu, notre client, quel est son état d’esprit ?
Il est souvent le chef d’entreprise qui a subi un contrôle fiscal dans la société qu’il dirige, qui produit de la valeur ajoutée, emploie du personnel, et ne comprend pas toujours l’accumulation de sanctions qu’il encourt. L’administration fiscale au travers le contrôle fiscal qu’a subi la société a rappelé des impôts, appliqué un intérêt de retard supposé compenser le manque à gagner du trésor Public, et appliqué des pénalités, de 40%, 80% voire 100% du montant de l’impôt réclamé. A ce stade, et avant toute répression pénale, le chef d’entreprise a compris que ses « erreurs » (selon lui) ou ses fraudes (selon l’administration) lui ont couté plus cher que si la société avait acquitté l’impôt en temps et en heure, et correctement calculé. La leçon est reçue, elle sera retenue.
Oui, mais le législateur a souhaité accroître la répression de ces personnes.
Un choix politique, guidé à la fois par une formule sibylline quant au rôle de l’impôt dans un Etat et le rappel d’une volonté d’éviter toute forme de concurrence inique par ce biais, et aussi et surtout, pour montrer publiquement, que « voler » l’Etat, c’est voler chacun de nous, y compris quand les auteurs de ce « vol » sont eux-mêmes des personnalités politiques (Cahuzac, Thevenoud, Balkany).
De nombreux pays ont choisi d’appliquer soit la répression administrative (pénalités lourdes) soit la répression pénale, mais refuse le cumul.
Beaucoup de nos confrères développent dans leur plaidoirie, le principe de Ne Bis In Idem, qui a pourtant reçu maintes et maintes réponses des juridictions françaises, toujours par la négative, puisque la France a, explicitement, marqué sa réserve interprétative sur le sujet.
En matière de fraude fiscale, le cumul des sanctions existe, il est couramment appliqué.
Face à un tel constat, difficile, pour ne pas dire impossible d’obtenir une relaxe.
Pourtant, si notre client nous choisit, c’est qu’il considère que notre rôle doit être utile. Bien entendu, chacun des cas est différent, et certains de nos clients, s’ils espèrent toujours une relaxe, au fond d’eux, se satisferont aisément de peines légères, voire de dispense de peine. Nous devons donc jouer notre partition, et tenter d’obtenir, pour nos clients, une décision espérée.
Mais pour cela, outre le dossier en lui-même, il est indispensable de sonder notre client sur ce qui l’effraie le plus dans les sanctions qu’il encourt : une peine de prison, souvent assortie d’un sursis, une amende plus ou moins importante, une interdiction de gérer une entreprise, une peine d’affichage (le fameux « name & shame »), le cumul de plusieurs de ces sanctions, et surtout, le volet civil de la réparation que ne manque jamais de solliciter l’administration fiscale dans sa constitution de partie civile, la solidarité du dirigeant au paiement des dettes fiscales de la société qu’il dirige ?
Nous n’avons pas de statistiques précises dans notre pratique, mais nous pouvons aisément affirmer que dans la grande majorité des cas, ce qui effraie le plus le dirigeant que nous défendons, c’est d’avoir à payer les impôts de la société qu’il dirige, les sommes en jeu étant souvent très importantes, et aucune corrélation n’existant entre l’état de fortune du prévenu et celui de la société qu’il dirige.
Il est facile de le comprendre au travers l’exemple de la condamnation de Jérôme Kerviel, non pour de la fraude fiscale, mais sur un autre sujet, où cette personne sans fortune particulière a été condamné à payer plusieurs milliards d’euros qui sont sans rapport avec ses capacités personnelles, existantes ou à venir.
Toute justice pour être acceptée, admise, comprise, doit être pondérée, adaptée, proportionnée, en un mot, juste.
Il est aussi impossible de définir ce qui est juste de ce qui ne l’est pas, que de tenter de définir la notion de liberté ou d’égalité. Alors, les auxiliaires de justice que nous sommes, les magistrats, les parquetiers, tentent, au travers de leur rôle respectif, de s’approcher de ce qui semble juste à tous, y compris et surtout au justiciable.
Mais cette matière, nous l’avons dit en propos liminaire est complexe pour de multiples raisons. La France a fait le choix de dissocier ces affaires par le truchement d’un juge de l’impôt d’une part, et par un juge répressif d’autre part. Deux procédures parallèles, deux actions avançant à des vitesses différentes, deux types de décisions qui parfois, voire souvent s’opposent, deux ordres, administratif et judiciaire, qui s’ignorent et ne communiquent pas entre eux. Seul notre client se retrouve à la croisée de ces deux mondes parallèles. Il est souvent répété tant par les Juges répressifs que par les parquetiers que les deux procédures, administratives et répressives sont indépendantes. Pourtant, nul ne saurait constater cette indépendance, tellement les faits reprochés (fraude fiscale) sont le ciment de la répression.
Devons-nous donc, nous défenseurs, imposer au magistrat de l’ordre répressif de faire du droit fiscal ? Devons-nous l’ennuyer avec des notions dont il s’aperçoit vite qu’il ne les appréhende que très peu, au risque qu’il ait le sentiment de mettre à jour sa méconnaissance technique, qui, si elle est normale, n’en est pas moins gênante ? Ou, a contrario, devons-nous plaider comme n’importe quelle affaire délictuelle sur l’intentionnalité et la matérialité, cette dernière étant quasiment considérée comme d’ores et déjà acquise par la démonstration absolue qu’en a fait l’administration ?
Bien des situations, souvent très différentes les unes des autres occupent notre Cabinet pour assister nos clients dans ce domaine. Parfois le sujet sous-jacent est très technique, et nous abordons l’audience répressive comme un précipice dans lequel, sans aborder le sujet fiscal qui a amené notre client à se trouver devant le juge répressif, il nous paraît impossible d’obtenir une décision, qui, à défaut d’être juste, sera comprise et acceptée par notre client. Parfois, le véritable sujet, même si la fiscalité est toujours un sujet, revêt d’autres domaines du droit : la direction de fait, le schéma de fraude, qui serait mieux qualifié d’escroquerie que de fraude fiscale.
Bref, nous devons, par obligation, par nécessité, ne pas nous contenter de pratique le droit pénal, mais de comprendre les enjeux des matières sous-jacentes.
Quant à notre client, que devons-nous lui conseiller ? De répondre aux questions qui lui sont posées par les juges, de se taire, de jouer « l’innocent qui ne savait pas », la repentance de son acte ? La préparation de notre client, chaque avocat qui défend un client en matière délictuelle ou criminelle, y est confronté, la spécificité de cette matière n’y change rien. Et nous le disons souvent entre nous, notre principal ennemi, c’est notre client lui-même, car nul ne peut maîtriser son comportement à l’audience, ses paroles, son attitude. Nous pouvons avoir préparé une stratégie de défense limpide, nous devrons, dans tous les cas, adapter notre plaidoirie à la manière dont s’est déroulée l’audience.
Notre beau métier, dans cette phase si particulière et intense, tient beaucoup à de l’improvisation.
Dans notre pratique personnelle, nous avons tenté, au départ, d’aider les magistrats à cerner les enjeux de la matière fiscale.
Difficile. Nous l’avons dit, ils ne veulent que rarement aborder cette question, ils rappellent bien souvent qu’ils ne sont pas le juge de l’impôt. Ceci est vrai.
Pour autant, la dichotomie des procédures entraîne bien souvent une audience répressive qui précède le sujet fiscal par le juge de l’impôt, parfois, cette audience existe sans même qu’un contentieux fiscal n’ait été introduit, et pour une dette dont on ne sait pas si elle est payée, totalement ou partiellement, voire prescrite parfois.
Le juge répressif devra donc trancher quant à la culpabilité du prévenu sur une fraude qui n’a pas été jugée comme telle par le juge naturel de l’impôt, et surtout, qui n’est pas définie à ce stade dans son montant exact et devenu définitif. Il tranchera donc sur le principe, en d’autres termes, il cherchera l’intentionnalité de commettre le délit de fraude fiscale, sans raison de s’attacher au montant sous-jacent de la fraude. La décision sera donc « bancale » puisque si l’intentionnalité a été jugée, la matérialité à l’exactitude vérifiée ne le sera pas. De surcroît, la décision pénale s’imposera, ou à tout le moins, nourrira, la décision du juge de l’impôt.
Contrairement à beaucoup de délits et de crimes, dans notre matière, en général, l’enquête est menée par la gendarmerie ou la police, rarement spécialisée en matière financière, voire fiscale, au travers une enquête préliminaire, et à l’appui unique de l’administration fiscale, qui agit comme un deuxième parquet.
Nous avons donc, dans le cadre de ces audiences correctionnelles, une partie civile identique dans toutes les affaires que nous traitons. Et ceci est encore plus notable, quand notre cabinet, en plus de la défense pénale de ces affaires, assiste ses clients dans le cadre du contentieux fiscal, où, la partie adverse est toujours l’administration fiscale.
Les combats sont tous différents, mais les protagonistes, administration et avocats, sont les mêmes.
Peu de domaines présentent ces mêmes similitudes, avouons-le.
Pour autant, à chaque fois que nous enfilons notre robe d’avocat pour défendre nos clients devant une juridiction répressive, ce sont les mêmes sentiments qui nous animent.
Vouloir faire du droit, vouloir parvenir à intéresser les magistrats à une matière aride, souvent absconse, rébarbative, pour laquelle, l’implacable démonstration de cette partie civile « experte » enfoncera un peu plus notre client, quant à la matérialité de son délit, et très souvent, l’intentionnalité de celui-ci. Le combat est rude, il est passionnant, mais nous en sortons chaque fois, épuisés physiquement, moralement, et attendons de manière fébrile le délibéré de l’affaire.
Comme chacun de nous, dans notre métier, il nous faut donner notre sentiment à notre client, nous refaisons le film de notre plaidoirie, regrettons de ne pas avoir dit telle ou telle chose, nous satisfaisons de quelques « punchline » bien placées, mais comme tous, nous attendons.
Dans les deux affaires que notre cabinet vient de plaider, les enjeux, de prime abord, peuvent sembler modérés. Pourtant ces réquisitions sont souvent de la prison avec sursis, des amendes de plus en plus importantes, et des peines accessoires, comme des interdictions de gérer une entreprise, voire la peine « sociétale », l’affichage. Jadis, on appelait ça le pilori, le poteau auquel on attachait le condamné à l’exposition publique.
Qu’importent les réquisitions qui sont parfois violentes, seule la décision finale nous importe. Bien entendu, nous avons toujours à cœur d’obtenir le meilleur résultat, la victoire sans défaut, la relaxe, au fond, et non sur la forme.
Je crois que nous faisons ce métier par passion, passion du droit, mais aussi, en tout cas, c’est mon état d’esprit, pour la satisfaction de la lutte que nous avons menée pour notre client, et du résultat que nous avons obtenu.
J’ai assisté un jour à une intervention de notre confrère Jean-Yves Leborgne, qui expliquait à son auditoire la difficulté de l’après verdict.
Nous savons tous l’énergie que nous devons déployer pour convaincre une personne de la défendre, celle qui est nécessaire à forger sa stratégie de défense, à comprendre le dossier, à travailler sur une jurisprudence surabondante, à accompagner notre client sur l’aspect psychologique, à le préparer à toutes les étapes de la procédure, et enfin à plaider. Nous savons aussi que malgré toute cette préparation, malgré les conseils maintes fois répétés à notre client, notre principal ennemi, c’est justement notre client. Comment va-t-il se comporter pendant l’audience ? Ne va-t-il pas apparaître aux yeux des magistrats comme un coupable d’évidence, ou surjouer la victime d’une infraction dont tous les éléments l’accablent ?
Notre énergie est croissante, elle s’amplifie à l’approche de l’audience, elle nous fait douter, être sûr, puis douter encore ; elle provoque ce que les artistes nomment le trac, nous l’avons tous, en tout cas, je le crois, lorsque nous sommes investis dans nos affaires.
Mais comme le rappelait notre confrère Leborgne, après le verdict, vient le moment de la décompression, similaire à la décompression des plongeurs. Nous ne pouvons pas remonter à la surface immédiatement, il nous faut respecter des paliers. Mais les affaires s’enchaînent, différentes, avec des enjeux et des clients différents. A peine avons-nous reçu le jugement, parfois heureux, souvent étonnant, voire choquant, qu’il nous faut remonter sur notre frêle esquif, mettre le cap vers un nouvel horizon, nous battre une nouvelle fois, et vivre, une fois encore, l’attente, la crainte, l’espoir d’un nouveau verdict.
Tel est notre métier, de l’intérieur, que certains ne voient pas comme cela, nous considérant comme des nantis, nous imaginant dans des locaux luxueux, fumant des havanes et dégustant un vieil armagnac hors de prix, payé par des honoraires indécents facturés à nos clients.
Je dis souvent dans mes plaidoiries, en particulier quand le Président rappelle qu’il convient d’être concis car la justice est surchargée, que je vais tout faire pour répondre à ses souhaits, mais que ni les magistrats, ni le procureur, ni la partie civile, ni moi-même ne courons le risque de ne pas sortir libres de l’enceinte du tribunal ou de la Cour. Seul le prévenu, mon client, a ce risque.
Alors, jusqu’à l’épuisement parfois, et en évitant la lassitude d’une plaidoirie trop longue, j’essaie de me battre pour que le tribunal entende nos arguments, et dans sa décision, se rappelle les fondements de cette magnifique matière : présomption d’innocence, charge à l’accusation d’apporter la preuve de la culpabilité, doute qui doit profiter au prévenu, proportionnalité des peines.
Nous, avocats, magistrats, parquetiers, il nous appartient dans ces affaires complexes, entremêlées de droit administratif et de droit répressif, de recentrer les débats de l’enceinte judiciaire de manière stricte. Ne tombons pas dans l’erreur ou la facilité de la justice extérieure, celle du peuple, qui, quand elle entend fraude fiscale, considère, a priori, que le prévenu est coupable, ne serait-ce que parce que, pour frauder le fisc, il faut être riche.
Toute fraude est sanctionnable, tout délit, tout crime, mais la justice doit être rendue de manière sereine, dépassionnée, raisonnée, car c’est la seule façon qu’elle a d’être comprise, et par conséquent, d’être utile.
Maître Frédéric NIEL
Avocat Associé – Cabinet SAND AVOCATS.